Souvenirs...
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Nos quatre comédien.ne.s ont écrit un souvenir de leur personnage en s'inspirant d'anciennes photos du quartier du Vergoin.
Photo sous les cerisiers :
Ania, par Amaëlle :
J'avais sept ans. Je me souviens qu'avant d'aller au parc, j'avais fait une crise, un caprice à ma mère. Je détestais le cerf-tête que j'avais sur la tête. Mais maman insistait pour que je le porte. Elle disait qu'il ne fallait pas que le regard d'une petite fille soit parasité : cela nourrissait la naïveté. Alors j'étais obligée de le porter même si ça me faisait pleurer. Je pense que ce qui me faisait pleurer au fond, c’était de ne pas pouvoir décider pour moi-même. Mais j’étais petite.
On jouait à 1, 2, 3 soleil avec les copains du quartier. C’était mon jeu préféré sous les cerisiers. Je crois que c’était l’euphorie du moment. Le fait de se retrouver avec tout le monde. On courait dans tous les sens, on jouait à « Trap-Trap », on grimpait aux arbres, on escaladait ce qu’on appelait « les monts du dinosaure Trésor ».
Je me rappelle d’une fois où on s’était cachés avec Trofimov dans un de ces « monts » pour se faire notre premier bisou. J’avais vu faire ma sœur Varia je me souviens. Ma mère m’avait grondée car elle ne savait pas où j’étais passée.
Ce jour-là, je me souviens que c’est ma maman qui a pris la photo. C’était en fin de journée, on allait bientôt rentrer pour préparer le dîner et parce que j’avais école le lendemain.
Photo à l'arrêt du bus :
Liouba, par Raymonde :
Avec Dounia on était comme deux sœurs. Souvent ensemble. Dounia m'a toujours amusée avec ses problèmes de cœur, une adolescente éternelle ou l'éternelle adolescente !
Là on part prendre le bus pour faire des courses pour le pique-nique qui doit avoir lieu sous les cerisiers. Évidemment, Dounia a pris du temps pour sa toilette, choisir ce qu'elle mettra pour descendre en ville et on a juste le temps de voir passer le bus sous notre nez quand on arrive.
Ça me contrarie quand même et je me permets de la réprimander. On va revenir un peu tard pour le pique-nique. Le barbeuq sera allumé et ils devront attendre le poulet et les nuggets végétariennes que l'association de quartier nous a commandé.
Pour le dessert Dounia veut que les enfants cueillent des cerises. Je ne sais pas si c'est une bonne idée de les laisser grimper dans les arbres sans surveillance adulte. Évidemment elle se moque de moi en m'appelant « mère poule ». Les enfants sont assez grands pour veiller sur les petits.
Le ciel est loin d'être bleu et je me demande si notre pique nique ne risque pas d'être arrosé.
Photo sur les tables de ping-pong :
Lopakhine, par Alexis :
Je me souviens, c’était la fin d’année, c’était les examens bientôt, moi j’avais mon BAC PRO, on révisait pas bien-sûr et on glandait sur les tables de ping-pong, dans la cité et y’avait Varia, Haroun, Yaêlle, tout la clique, et moi j’avais le costard -beau gosse- parce que j’étais en hôtellerie et je me sentais beau, et je savais que j’allais réussir mon examen.
Haroun avait mis un morceau de Michael Jackson, et moi je dansais, je faisais Michael Jackson.
Varia, par Margot:
De la dizaine de jeunes qu'on était, j'étais la seule blonde. Facile à reconnaître sur cette photo … Souvenir d'un père que je ne connais pas, sûrement. Mystère de la génétique.
Cet instant suspendu sur la pellicule, je m'en souviens très bien. C'était au mois de Juin, mais un mois de Juin frais et instable, un peu comme cette année.
Un soleil timide pointait sur nous ses rayons, et nous gardions une petite veste et nos jeans pour parer les courants d'air.
Ce jour-là n'était pas un jour comme les autres : nous venions de terminer les épreuves du bac et un sentiment de libération, une euphorie grandissante s’emparait de nous. L'avenir était là, devant nous, et c'était pile le moment où nous allions y glisser un pied, puis deux, et le corps tout entier. C'était facile, évident. La jeunesse nous éclatait le cœur et la figure. A nous tous, nous étions encore plus puissants, invincibles.
Devant moi sur la photo, il y a Simon. Il était déjà un peu dans la lune, mais déjà il était là. Je me souviens qu'il ne savait pas tellement où s’orienter. Il est parti en BEP pâtisserie, mais ce qu'il aimait, c'était regarder les étoiles, et la poésie.
Aujourd'hui on se croise, on discute toujours, il est toujours dans la lune, mais sa présence me rassure, comme un témoignage inchangé de cette époque.
Et à l'autre bout de la photo, il y à Lopakine. Je ne voyais que lui. Il commençait à prendre sa revanche déjà à l'époque, celle de ses premiers costards qu'il s'était payés avec son boulot d'été comme hôte d’accueil dans un magasin en centre-ville. Il faisait le fanfaron ce jour-là, au milieu de tous les autres, le seul à briller, le seul qui en valait la peine, pour mieux conjurer toutes ces années où personne ne l'avait regardé. Et moi je ne voyais que lui. Je repensais à toutes ces cerises vertes amassées sur le pas de ma porte au fil des années, à cet amour qui ne portait pas de nom, pas encore, mais bientôt, peut-être ? Et à l'avenir de tous les possibles. Le mien. Le sien. Le nôtre...
Et je riais. Je riais à la vie. Je me voyais déjà devant une classe d'enfants, seule avec la responsabilité de leur avenir, porteuse d'espoir, de réussite et d'avenir, de partage et de confiance. Cet après-midi-là, je me suis sentie à ma place comme jamais plus ailleurs.